L’incorruptible et le serial killer (2/3)

MAFIA ET PROHIBITION

Né en Sicile vers 1860, la « Cosa Nostra » (« notre chose« ) va en moins d’un demi-siècle gagner les États-Unis dans le sillage d’un million d’émigrés siciliens dont Salvatore Luciana qui adoptera bientôt le patronyme de Lucky Luciano et deviendra le père de la mafia italo-américaine. Notons au passage que le terme « mafia » semble inapproprié aux yeux des premiers concernés ; ce sont des « hommes d’honneur » qui suivent un code aux règles précises telles l’omerta et le rispetto. De plus, les organisations mafieuses des zones urbaines ne sont pas l’apanage des seuls siciliens, mais aussi des immigrants irlandais, allemands ou juifs, notamment à Cleveland.

Alors que les premières activités criminelles se développent surtout autour du racket, du trafic de drogue et de la prostitution, c’est la Prohibition qui, en treize ans, va permettre l’expansion spectaculaire de la mafia américaine et lui donner l’élan fondateur à sa puissance. Le Volstead Act, voté le 16 janvier 1919 suite à une longue campagne de lobbying des puritaines ligues de tempérance, interdit la fabrication, le transport, la vente et la consommation d’alcool sur tout le territoire américain. Même si certains pays européens suivent dans le sillage de cette sobriété nouvelle, les États-Unis restent très isolés sur le continent américain : au nord, le Canada fabrique son propre whisky, au sud le Mexique sa tequila, et le long de toute la façade atlantique s’étire une sorte de ligne Maginot de l’alcool et du rhum, de Saint-Pierre et Miquelon (plaque tournante où transitent les caisses illicites à destination des États-Unis) jusqu’à Cuba.

La « Big Jewish Navy », constitué par quatre gangsters juifs (Louie Rothkopf, Sam Tucker, Morrie Kleinman et Moe Dalitz) investissent dès 1925 dans plusieurs bateaux pour acheminer l’alcool canadien à Cleveland. Les tentatives des garde-côtes du Lac Erié pour stopper l’incessant ballet restent vaines, malgré quelques rares actions d’éclat :  le Sambo-G, fleuron du syndicat, est capturé en 1930 ce qui permet aux douaniers de faire main basse sur 1500 caisses de whisky… qui disparaissent dès le lendemain, les garde-côtes étant aussi corrompus que la police locale.

Les débuts de la mafia de Cleveland sont plutôt discrets ; trois chefs de famille se succèdent à partir de 1920 : Joseph « Big Joe » Lonardo, Salvatore « Black Sam » Todaro, et Joseph « Big Joe » Porello. Ce dernier, qui a éliminé tous ses concurrents, est à son tour criblé de balles dans un bar le 5 juillet 1930. Le tenancier du lieu, un contrebandier connu des services de police, est arrêté mais aucune charge n’est retenue contre lui malgré la découverte dans une arrière-salle de machines à sous, de caisses de whisky et de rhum importés, et d’une quantité impressionnante d’armes que le propriétaire avoue utiliser pour chasser les lapins. Cet homme, qui va devenir le chef de la pègre de Cleveland, c’est Frank Milano ; il n’apparait jamais directement dans notre histoire mais sert de leitmotiv à la vengeance d’Ethan Hedgeway.

Né en Sicile en 1891 et arrivé aux États-Unis en 1907, Frank Milano s’installe à Cleveland en 1913. En quelques années, il devient l’un des hommes les plus puissants de Little Italy, quartier qui s’étire sur moins d’un kilomètre le long de Mayfield Road (cette rue donnera son nom à la famille mafieuse de Cleveland) grâce au commerce de mélasse sèche nécessaire dans la production d’alcool. Preuve de son importance, Franck Milano se voit attribuer l’un des sept sièges lors de la création en 1931 du Syndicat national du crime (la « Commission ») aux côtés d’Al Capone, représentant l’Outfit de Chicago, et des représentants des cinq familles newyorkaises dont Lucky Luciano. Le règne de Frank Milano est violent, mais bref : au début de l’année 1935, il est obligé de fuir à Vera Cruz au Mexique pour éviter d’être inculpé de fraude fiscale, laissant le terrain libre à Alfred Polizzi qui prend les rênes de la Mayfield Road Mob de Cleveland. Comme ce fut -et c’est toujours- le cas, les autorités ne peuvent voir que d’un bon œil les luttes fratricides et les règlements de comptes qui débarrassent la ville de ses criminels les plus notoires. Mais en 1934, elle a de toute façon fort à faire avec celui qui, pour beaucoup, restera dans l’histoire criminelle comme le premier tueur en série des États-Unis.


Frank Milano
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