Le frère retrouvé (4/4)

Ce frère qui manqua tant à Barrie, nous l’avons offert à Peter, en la personne d’un authentique garçon perdu, Oliver Twist.
Il n’y a pas de dualité chez Oliver comme il peut y en avoir chez Peter; il n’est pas tiraillé entre le bien et le mal : il est le bien incarné. Si le livre de Dickens a fait l’objet de critiques à sa sortie, à la fin des années 1830, c’est parce qu’il dépeignait un monde de voleurs et de prostituées. Mais le personnage principal servait le but de son auteur: montrer, dans une époque victorienne puritaine, que le vice n’est pas contagieux, et que l’on ne naît pas forcément mauvais.

Avouons qu’Oliver est un peu exaspérant : né dans le caniveau ou presque, son vocabulaire est pourtant très étoffé, et sa grammaire parfaite, contrairement aux petits pickpockets qu’il fréquente. Bourré de scrupules moraux, il n’est jamais tenté face au crime et à la corruption : son cœur reste pur.

C’est ce que nous avons exploité ici : un petit garçon avec de grands yeux étonnés, juste et intègre, malin et perspicace, devinant très vite la vanité de son acolyte Peter. Mais un petit garçon assez naïf pour croire que grâce à son ami il retrouvera sa mère puisqu’elle est au ciel et ne doit pas être très loin de Neverland, le pays imaginaire: deuxième étoile à droite, puis tout droit jusqu’au matin.

Car à l’instar de Peter, il y a aussi chez Oliver les mêmes blessures lourdes et lancinantes qui ne sont que le reflet de la complexité de son auteur, Dickens. Négligé par sa mère et ayant connu la misère plus que de raison, il fut emprisonné avec un père criblé de dettes, et obligé de polir des chaussures dix heures par jour à l’âge de 10 ans.

Oliver fait souvent le reproche à son ami de préférer la facilité : à Neverland, il est cet enfant gai, insouciant et sans cœur, un héros à la mémoire faillible qui édicte ses propres lois et ne tolère aucune contestation. Peter lui apporte une réponse cinglante, car c’est à Neverland qu’il se sent vivant, alors qu’il meurt à petit feu dans le Londres d’Oliver :

C’est ce monde-là que tu ne veux pas quitter, Oliver ? Tout ce malheur, toute cette douleur ! Tu n’as pas regardé ces enfants en haillons blottis les uns contre les autres pour ne pas mourir de froid. Tu ne les as pas regardés, parce que tu es habitué à la misère humaine; pas moi. Tu n’aimes pas Neverland parce qu’on  y est insouciant et qu’on y oublie tout; mais il me faudra des millions d’années pour oublier toute la cruauté que j’ai vue ici. Oui, je préfère être gai, insouciant  et sans cœur… Ton monde, je te le laisse4.

Peter et le pays imaginaire sont indissociables. Dans le dernier tome de notre histoire, il suppliera Wendy de la rejoindre, elle et son bébé, à Neverland : « Rappelle-toi, tu disais que ses rivages étaient magnifiques ! ». Et Wendy la trentenaire de répondre : « J’entendrai toujours le bruit des vagues, Peter… mais je n’y accosterai plus jamais… ».